Nouveau mois, nouveau thème pour le challenge #AreYouBookEnough, qui rassemble sur instagram » des relieurs & artistes du monde entier autour d’un mot, un sujet.
Touch
Ce mois ci, le thème imposé est « touch ». J’avais décidé de créer un livre autour des émotions …
L’idée étant de montrer que malgré les barrières que l’on se met, malgré la glace que l’on érige parfois pour se protéger, lorsque l’on accepte de se laisser toucher, alors, les émotions fusent, en cascade, pas toujours lisibles de prime-abord.
Ce projet a été bouleversé par les évènements de Strasbourg et pourtant a pris une dimension nouvelle… Il ne ressemble plus complètement à ce que j’avais imaginé, mais j’ai décidé de vous le présenter tout de même parce qu’il est à l’image des émotions : imprévisibles, incontrôlables et c’est ce qui en fait leur force et leur beauté.
La réalisation
J’ai décidé de réaliser une échelle de Jacob. Il s’agit traditionnellement de ces jouets en bois,reliés par des rubans qui, lorsque le bloc supérieur est retourné semblent faire se retourner en cascade chacun des autres blocs les uns après les autres. Utilisé comme un livre, cela permettait d’avoir cette impression de cascade, une émotion entraînant l’autre.
Au fil des pages, j’ai voulu qu’apparaisse le portrait de mon fils, celui qui, plus que n’importe qui a fait fondre mes barrières. Il y a quelques mois, Séverine de VcommeSamedi avait réalisé son portrait. Avec sensibilité et délicatesse elle avait su trouver les mots justes pour retranscrire sa personnalité et sa richesse.
J’ai donc imprimé le texte sur un papier réalisé à la main à base de peinture acrylique rouge écarlate et doré, travaillé afin d’en avoir une texture à la fois irrégulière et souple.
Une fois l’échelle de jacob réalisée et fonctionnelle, je l’ai immergée dans un bol d’eau direction le congélateur ….Nous étions le 11 Décembre, à Strasbourg, peu avant 19h
Et la glace chut
48h plus tard, je décidai malgré tout de sortir mon livre, parce que même si le cœur n’y était plus j’étais curieuse de savoir si cela fonctionnerait… Je l’ai alors suspendu afin que la glace fonde doucement et libère d’un coup le mécanisme de mon échelle de Jacob…
Mais voilà, je n’avais pas anticipé que la couverture de mon livre ne supporterait pas le poids de la glace. D’un coup la couverture s’est arrachée et mon « livre » est tombé.
Résilience
Cette chute agit comme un déclic… Après une nuit d’effroi, 48h de tensions due aux forces de polices traquant le terroriste à quelques mètres de chez moi, mon projet me semblait complètement déconnecté…. Accepter de se laisser toucher par la beauté d’un fils alors que des innocents sont morts, que B. semble s’être interposé pour empêcher le terroriste de faire davantage de victimes… Cela semblait bien futile, presque indécent…
J’abandonnais mon livre dans sa glace, traversais le centre ville pour donner cours aussi « normalement » que possible. Au retour, une intervention était à nouveau en cours dans le quartier, rues désertes, suspendues….
Presque machinalement, je retournais malgré tout à mon projet. Je recollais la couverture et constatais avec surprise que mon échelle fonctionnait encore … Certes moins « brillante » qu’avant sa chute mais fonctionnelle. Les pages tombaient en cascades, les mots toujours lisibles… Je souris. Peut être est ce aussi cela accepter d’être touché. Accepter de ne pas contrôler, de ne pas tout comprendre…
Edit : ce n’est pas Bartek qui s’était interposé aux Savons d’Helène, mais un courageux musicien (Damian Mylan). Bartek est décédé. Je l’avais cotoyé lorsque je travaillais au Parlement européen, solaire et lumineux… Comme beaucoup de monde à Strasbourg, de milieux tellement différents, et justement, à son image, je l’ai pleuré.
En mémoire de Bartek, Pascal, Anupong, Antonio et Kamal …
Très créatif Cécile.. J’ai adoré l’histoire et la création qui s’en découle (si je peux le dire comme ça). Une vrai création d’artiste. Bravo et une réflexion sur les évènements improgramables.
Merci Marie Christine ! Un projet un peu particulier dans des circonstances difficiles …. mais, tu devrais aussi regarder ce challenge, je suis sûre que tu y trouverais matière à faire plaisir à ta créativité !
Article très touchant Cécile! Et tellement vrai ce que tu dis là: ‘Accepter de ne pas contrôler, de ne pas tout comprendre.’
D’ailleurs tu fais ressurgir de ma mémoire un tout vieux souvenir! Cette échelle de Jacob (tu viens de m’apprendre quelque chose, je ne savais pas que cela s’appelait ainsi), je l’ai fabriqué étant enfant. Mes parents n’ayant pas vraiment les moyens, à cette époque je me fabriquais de nombreux jouets de mes propres mains: figure toi que je me rendais à l’un des stands de Noël, Place Broglie, pour comprendre comment ce jouet fonctionnait. Une fois le principe de fonctionnement assimilé, je l’ai fabriqué chez moi, dans le garage, en jouant de la scie, colle, tissu et autres. Je me souviens de cette immense fierté une fois fini! Comme j’aimerais retrouver tous ces jouets faits main.
Quoiqu’il en soit, merci infiniment Cécile de partager ces émotions au travers de cet article, et pour ce souvenir jusque là oublié! <3
Merci Khanh … je suis heureuse d’avoir ainsi fait ressurgir cette jolie madeleine de Proust …
Quel article touchant… Les aléas, les circonstances, les coïncidences… sont des signes impénétrables mais à méditer !
Je n’ai toute fois pas trop compris à quoi servait l’étape de la glace qui a échoué ? C’était symbolique ? Ou ça avait un intérêt pour la fabrication ?
Merci ! L’étape devait être uniquement visuelle, car dans mes essais (mais avec moins de poids), la glace fondait doucement laissant affleurer les mots puis, d’un coup libérait le corps du texte … Donc oui cela devait être plus symbolique qu’autre chose mais je n’ai plus filmé après et simplement lamentablement laissé mon projet fondre !
J’aime ta démarche symbolique. Très poétique ! Dommage que ça n’ai pas marché. Mais rien que tout le reste du projet est déjà très beau ????.
Très touchée par ton article. Il illustre aussi que la vie continue.
merci Michèle … oui tu as tout à fait raison 🙂 <3