Passage du CAP Art de la Reliure
Retour d’expérience sur mes deux premiers cobayes
21 juin 2023, les épreuves pratiques EP3 du CAP Art de la Reliure se sont achevées hier. Ma mission de formatrice s’arrête pour Thaïs et Emmanuel. En attendant les résultats, l’occasion pour moi de revenir sur cette première expérience de formatrice. Ce qui s’est bien déroulé. Ce que j’essaierai d’améliorer pour les prochains. Mes doutes et satisfactions aussi…
Mais d’abord, je vous présente rapidement les épreuves du CAP. Sachant que, dans la formation que je propose, l’accent est essentiellement mis sur la préparation à l’EP3. Les autres épreuves sont évidemment abordées mais celles-ci requièrent d’avantage de travail personnel et de recherches.
Les Epreuves du CAP,
un marathon à allure Sprint
Loin d’être un « sous-examen », passer son CAP Art de la Reliure nécessite une somme de connaissances techniques et pratiques non négligeables. Les épreuves, écrites et pratiques s’enchainent laissant peu de temps à l’improvisation.
Qu’elles soient longues (16h pour l’épreuve pratique) ou courtes (1h30 pour certains écrits), les candidats n’ont pas le temps d’hésiter, de douter…Je ne vous parlerai ici que des épreuves spécifiques à la reliure, les candidats libres étant dispensés des matières générales s’ils ont le bac.
- EP 1 : Etude Stylistique et Proposition graphique (4h30)
Une épreuve scindée en deux parties. La première, « culture artistique et arts appliqués à la reliure » évalue les connaissances en histoire du livre, histoire de l’art, technologies annexes typographie, papier etc. La seconde « expression artistique » exige de réaliser la couverture d’un livre en respectant certaines contraintes (de forme, mise à l’échelle, univers graphique etc) - EP 2: Analyse et Préparation d’un ouvrage en reliure (1h30)
Epreuve qui vise à évaluer la capacité du candidat à analyser une situation professionnelle et organiser son travail (j’ai une série de reliure à faire, comment s organiser, quels matériaux manquent, ordonner les étapes, reconnaître des formats et papiers etc, où positionner une pièce de titre etc…) - PSE : Comme tous les candidats au CAP, une épreuve de « prévention sécurité environnement » vise à évaluer les connaissances pratiques en termes d’alimentation, addiction, environnement économique mais surtout prévention des risques professionnels et mesures d’urgence
- EP 3: Exécution d’ouvrages de Reliure (16h15)
L’épreuve reine. Je me souviens encore de mon épuisement à la sortie de ces deux jours tellement intenses. Cette année, ils devaient réaliser une reliure emboitage bradel, une reliure passée demi cuir à nerfs, des exercices de plaçure (réparations), un exercice de coins en cuir et un exercice de dorure. Tout l’enjeu est d’arriver à la fois à maîtriser ses gestes mais aussi à s’organiser pour tout faire dans les temps.
Mes cobayes
Pour cette session 2023, deux élèves se sont présentés à l’examen du CAP Art de la Reliure : Thaïs et Emmanuel. Tous deux ont eu un parcours de formation très différent:
Thaïs, en formation à l’atelier, 1 jour par semaine depuis l’automne 2021
Thaïs est en pleine réorientation professionnelle. Lorsqu’elle a décidé de franchir le pas d’une formation certifiante au CAP Art de la Reliure, elle avait déjà en tête de créer son propre atelier. Co-financée par le CPF et Pôle Emploi, elle s’est lancée avec assiduité, persévérance et entrain dans cette formation. Durant deux ans, elle est venue chaque mardi à l’atelier. Apprendre, peaufiner ses gestes.
Perfectionniste et en proie au doute, elle organisait le reste de sa semaine pour travailler chez elle. Ré-écrire chaque étape, process vu la veille à l’atelier, faire et refaire les même gestes pour s’améliorer, réaliser des recherches pour acquérir la culture générale spécifique au métier (histoire du livre, histoire de l’art,…). Quelles que soient les difficultés rencontrées, jamais elle n’a lâché son objectif de base, ni son organisation de travail et sa motivation à toute épreuve.
Emmanuel, des « révisions » en distanciel depuis avril 2023
Basé en Savoie et autodidacte, lorsque Emmanuel s’est décidé à s’inscrire au CAP Art de la Reliure, il n’a pas trouvé d’atelier proche acceptant de le former, et sa situation familiale et professionnelle l’empêchait de se dégager plusieurs jours pour venir se former à l’atelier. Il n’avait pas pour optique de créer un atelier mais plutôt de valider des compétences. Ancien libraire et bibliophile, nous échangions depuis plusieurs mois sur les réseaux sociaux. Courant janvier, il me contacte pour me demander de l’aider à le former à distance…
J’avoue avoir été sceptique au début. Car une formation à un métier manuel se fait par le geste, en atelier. Mais sa démarche ne manque ni de courage ni de panache. Alors, j’ai accepté d’essayer de construire avec lui une « session à distance », en lui expliquant malgré tout les limites d’une telle démarche mais tentant de faire au mieux pour l’aider.
Comment ? Tout d’abord une auto-évaluation sur la base du référentiel pour identifier rapidement les points de faiblesse. Puis des visios hebdomadaires pour tenter de montrer les bons gestes, corriger ce qui semblait un peu plus lacunaire. L’accès à l’intranet et des échanges de mails plus spécifiques (avec schémas ou vidéos) pour répondre aux questions ou reprendre par écrit certains points.
CE que je retire de ces deux expériences ?
L’importance de la co-construction pour une progression pédagogique adaptée
J’ai créé mon organisme de formation « à cause » de Thaïs, ou plutôt « pour » elle. Autant dire que, ensemble, nous avons « co-construit » la progression pédagogique. Pour ce faire, je me suis d’abord basée sur ma propre expérience de ma formation auprès de Maurice Salmon : ce que j’avais apprécié dans le rythme, ce qui me semblait intéressant, ce que j’aurais aimé y retrouver.
Avec Thaïs, je me suis rendue compte par exemple qu’il était important de fixer des « objectifs intermédiaires » (d’ici 2 mois voilà ce que tu devras savoir faire). En effet, sinon elle semblait toujours tellement « décue » d’elle même que la fixation de ces objectifs permettait de remettre les choses de manière réaliste (non en deux mois tu ne peux pas savoir faire une reliure parfaite, par contre en deux mois tu peux connaitre l’enchainement de toutes les étapes par ex). Je poursuis cette méthode de fixation d’objectifs intermédiaires avec Larissa et Chloé (actuellement en fin de 1ere année de formation) car, aux vues de nos échanges c’est quelque chose qui leur permet de matérialiser plus facilement à la fois leur progression mais également, pour moi, de vérifier que tous les éléments du référentiels seront abordés/acquis.
Nous avons également réalisé d’avantage d’examens blancs que prévus initialement. Ceux-ci pouvaient soit ressembler aux vraies épreuves du CAP (surtout dans les derniers mois de la formation) mais aussi simplement valider l’atteinte des objectifs précédents.
En revanche, nous n’avons fait en atelier qu’une seule véritable épreuve d’annales du EP3 sur 16h. Avec le recul, je pense que j’en organiserai probablement 2 pour les prochains. Car la gestion du temps est essentielle pour la réussir mais c’est extrêmement éprouvant aussi bien physiquement que mentalement. Réaliser, dans les conditions de l’examen, deux épreuves complètes pourrait permettre de mieux appréhender le jour J et peut être de se mettre d’avantage en confiance.
Quoiqu’il en soit, chaque élève est et sera différent et cette co-construction me permettra sans doute d’adapter au mieux la formation à leurs besoins mais aussi à leurs personnalités. Je vais donc tâcher de poursuivre en ce sens.
Rythme de la formation
Un an et demi, ça semble super long au départ mais autant dire que le temps semble s’accélérer au dernier semestre. Le référentiel est immense. La somme de connaissances, gestes à acquérir aussi. Il y a donc matière à amélioration pour que les derniers mois ne soient que de la « révision » et non pas de l’apprentissage
Concernant les gestes et la pratique, je pense que le rythme d’un jour par semaine en atelier est adéquat car il permet à la fois un suivi des progrès, une accoutumance aux gestes. Mais un travail autonome, en dehors de l’atelier, est essentiel pour mettre en pratique ce que l’on a vu en cours, refaire les même gestes. Se tromper aussi parfois (c’est le meilleur moyen d’apprendre), explorer de nouvelles techniques. Pour le moment, Larissa et Chloé, mes deux élèves de première année continuent sur la même lancée en travaillant énormément chez elles, chacune à son rythme mais démontrant une motivation sans faille. Je pense donc continuer de la sorte mais en leur faisant démarrer certains apprentissages (comme la reliure cuir ou la dorure) un peu plus tôt que je ne l’ai fait avec Thaïs.
Proposer une durée plus courte d’apprentissage peut être envisageable, cela a d’ailleurs été le cas avec Emmanuel mais cela nécessite de solides connaissances en amont et une grande capacité de travail en autonomie avec cependant beaucoup moins de marge de manœuvre/adaptation en cas de difficultés … J’avoue préférer un apprentissage plus confortable, pour le formé et le formateur!
De l’opportunité d’une formation à distance ?
Proposer une formation en visio serait certainement un vrai plus face au peu d’organismes de formation sur le territoire. Mais à l’heure actuelle, la manière dont j’ai procédé n’était absolument pas satisfaisante. Certes, Emmanuel était conscient dès le départ que « ce serait difficile mais qu’on essayerait ensemble » et lui, semble très satisfait de la qualité de la formation …Mais j’avoue que je n’avais pas anticipé à ce point LA difficulté majeure : la qualité de la vidéo.
Difficile de montrer des gestes ultra précis, sur 2mm avec nos moyens vidéos en direct. Difficile de se rendre compte, sans toucher, des éventuels défauts (de ponçage, de montée de couture etc…). On a dû ruser. Ainsi par exemple, pour revoir les procédés de montage de couvertures, on a agrandi les onglets (collés non plus sur 3mm mais sur 5 ou 6cm!), ils n’étaient plus « discrets » mais rouges écarlates ! J’ai joué des feutres pour agrandir et montrer précisément les endroits où frapper dans le cas de l’endossure. J’ai profité de chaque micro travail pour en faire une vidéo quand ça pouvait lui être utile et lui donner quelques indications plus précises… Mais cela reste assez frustrant.
Et, au delà de la qualité de ma propre vidéo que je peux facilement améliorer (j’ai toujours fait très attention à la lumière, à vérifier ce qu’il pouvait voir sur son écran, aux angles de vue), on n’est pas à l’abri que, l’élève ne dispose pas, lui d’un matériel suffisant (aussi bien en terme de débit, que de stabilité de la caméra lorsqu’il effectue ses gestes, où disposer sa caméra pour que je vois réellement ses gestes etc….)
Cependant, il va falloir que j’y réfléchisse sérieusement, en particulier dans la mesure où des soucis de santé risquent de me tenir éloignée quelques semaines de l’atelier alors pour mes élèves actuels en présentiel (Larissa, Chloé) il va falloir que je trouve rapidement une solution adéquate si une solution physique n’est pas trouvée.
Est ce que je suis une bonne formatrice?
Sans doute la question la plus difficile et celle qui m’inquiète le plus… On peut se baser sur les épreuves du CAP, dont les résultats devraient sortir en juillet prochain, pour avoir des éléments de réponse. On peut aussi se baser sur leurs évaluations (de mi parcours ou de fin de formation). Ce sont mes premiers cobayes et avec eux, j’ai testé, pour la première fois, en expérimentant, ma vision de la pédagogie et de la transmission. J’ai fait de mon mieux mais je n’ai pas de réponse précise à vous apporter.
Ce que je sais, c’est que j’ai stressé peut être autant qu’eux lors des différentes épreuves, attendant avec impatience leur coup de fil où ils me raconteraient comment ça s’est passé..
Ce que je sais, c’est que je suis extrêmement fière d’eux. Ils ne partent pas du même point, n’ont pas les mêmes objectifs à terme ni n’ont eu les même conditions de formation, mais tous deux ont fait de leur mieux pour se préparer à cet examen, pour acquérir ces gestes traditionnels minutieux et précieux… Tous deux ont eu le courage, de s’y présenter en candidat libre. Le courage, alors qu’ils ont, chacun d’autres diplômes, de se remettre en question pour partir de zéro sur un domaine complètement différent de leur zone de confort. Et rien que pour ça, je leur tire mon chapeau.
Je vais continuer de croiser les doigts …et m’atteler à préparer au mieux mes prochains cobayes!
Edit : juste avant de publier cet article, je le leur ai envoyé car, comme je parlais d’eux je voulais m’assurer qu’il n’y ait rien qui les « dérange » ou qu’ils souhaitent modifier… Leur réponse unanime m’a bien fait rire et m’a fait chaud au coeur !