Ce que j’ai appris en devenant Formatrice

Mai 2023, d’ici quelques semaines, mes premiers élèves se présenteront au CAP…
L’occasion, un brin stressée, de regarder un peu en arrière, le chemin parcouru …Entre démarches administratives, accronymes étranges, retards de paiements, mais aussi noeuds au cerveaux pour arriver à transmettre certains gestes, fous-rires dans l’atelier, enthousiasme de mes élèves, cette expérience professionnelle nouvelle pour moi a pris une place très importante dans mon activité quotidienne.
Cet article vous détaille quelques un de mes apprentissages, et même s’il est un peu long, je l’espère complet pour vous donner un panorama de ce qu’implique être artisan et organisme de formation

Crédit Thierry Girolt

Etre Organisme de Formation

l’entrée dans un univers administratif effrayant

A l’été 2021, après plusieurs discussions avec des personnes intéressées par une reconversion professionnelle dans le milieu de la reliure, je décidais de sauter le pas et de devenir moi même « organisme de formation ».

Mon objectif, transmettre, ces gestes, ces savoir-faire.

Cela pouvait sembler un brin prétentieux alors que j’avais moi même peu d’année d’expérience en tant que relieure, mais, j’avais toujours eu un goût de la pédagogie et, depuis que j’avais arrêté de donner des cours d’affaires européennes (mon ancienne vie pro) en 2020 j’avoue que cela me manquait … et que organiser simplement des « cours » ou « ateliers » manquait d’un réel suivi de la progression pédagogique. Lorsque j’ai appris que mon maître Maurice Salmon allait progressivement prendre sa retraite, je me suis dit que, peut être, à mon petit niveau je pouvais transmettre ce que je savais…

Administrativement parlant, c’est extrêmement simple de s’enregistrer comme organisme de formation : une simple déclaration auprès de la DREETS.
Quelques jours plus tard, on reçoit un « numéro d’enregistrement » (DA) et voila… Il faudra ensuite simplement déclarer tous les ans le nombre de stagiaire formés, leur provenance, leur financement, le CA réalisé (cela s’appelle le « bilan pédagogique et financier, BPF) et tenir une comptabilité séparée…

Mais une fois ce numéro obtenu, viennent d’autres questions. Par exemple, si je décide de former quelqu’un pour qu’ensuite il passe le CAP Art de la Reliure, il s’agit d’une formation « certifiante » qui par conséquent peut être éligible au CPF… partir à la découverte de la platefore EDOF de la Caisse des Dépots & Consignation (qui gère le CPF) et mettre un pied dans l’envers du décor, rencontrer mille accronymes plus obscurs les uns que les autres. Référencer sa formation sur OREF-Carif (???), le site de la formation du grand est, pour qu’elle puisse l’être sur pole emploi…. Passer des heures au téléphone ou sur internet à tenter de comprendre ce qu’il faut faire, OREF-CARIF, DA, OF, Kairos, Edof et j’en passe…

Viennent aussi les « désillusions ».

Je vous donne un exemple : Thaïs, ma première élève a démarré sa formation au CAP Art de la Reliure à l’automne 2021. Elle achèvera sa formation en juin 2023 avec le passage du CAP. Elle est financée par son CPF abondé par Pole Emploi … Jusque là, ok, les démarches ont été complexes pour obtenir le co-financement Pole Emploi mais c’était gérable…Sauf que, en tant qu’organisme de formation, le CPF ne te paie qu’à l’issue de la formation avec simplement un acompte pour les formations de plus de 3 mois. J’ai donc reçu un acompte de 30% réglementaire mais depuis, je travaille « bénévolement » puisque je ne percevrai le solde qu’en juillet probablement ! En terme de trésorerie, je ne m’étais pas imaginé cela !
La galère se répète en fonction des OPCO, certains auront des modalités de paiement complètement surréalistes et des délais tout autant approximatifs (malgré leurs propres CGV). Mais bon, j’apprends, je prends mon mal en patience, cela me servira pour plus tard!

Le choix d’être certifié Qualiopi

Et si un système qualité était davantage qu’une usine à gaz pour un tout petit « organisme » ?

A l’automne 2021, ma première élève démarrait sa formation. Lors de ma veille « classique » (scrollage sur réseaux sociaux où je suis plein de comptes dans plein de domaines différents, parce que je suis ultra curieuse de nature), j’apprends que la certification qualiopi sera obligatoire à partir de janvier 2022 pour obtenir le (co-)financement public (pole emploi, opco, cpf) de formations. Les posts que je lis semblent alarmant. Une usine à gaz impossible à mener pour un petit organisme de formation. Des tonnes de formalités administratives inutiles. Un coût exhorbitant.

Je décide d’aller plus loin et de regarder, à la source, ce référentiel.

Et là, franchement, à la lecture des indicateurs, tu te dis « mais, c’est du bon sens »: Information du public, évaluation des besoins, suivi de la qualité, prévention des ruptures de parcours, amélioration continue, adaptation des moyens pédagogiques aux élèves…En fait, normalement on le fait déjà plus ou moins consciemment, pourquoi pas le formaliser?

Je contacte un certificateur de chez CAPCERT, lui pose des milliards de questions sur la certification, le contenu de l’audit, la faisabilité pour un « petit »…
Puis je me décide : je vais mettre en place, seule, mon système qualité et je me ferai auditer, en décembre.

Pourquoi le faire seule ?

En fait, il y avait d’une part, une raison financière. Un audit a déjà un coût. L’accompagnement aurait un coût supplémentaire que je n’étais pas capable d’absorber. La deuxième raison est plus pragmatique : je partais de zéro, tout étant à construire alors autant le faire sur la base du référentiel, en essayant au maximum d’en tirer partie.

Je vous donne un exemple : évaluer les besoins et adapter l’offre pédagogique.
Tu le fais inconsciemment quand tu proposes un programme à un potentiel élève, mais comment le « formaliser »? Comment mettre en procédure ce que tu fais intuitivement par téléphone ou mail? Comment, malgré tout, garder quelque chose de faisable dans le temps?
Par exemple, lorsque je suis à mon atelier, je n’ai pas mon ordinateur, donc je prends des notes papier lors de toutes les conversations que je peux avoir avec un potentiel candidat, inutile alors de prévoir une procédure avec un joli fichier informatique que je maintiendrai à jour 2 semaines! Non, mon évaluation des besoins se fait sur format papier, à l’ancienne, avec une grille de questions plus ou moins systématiques intuitives. Tant pis si c’est moche.

Au fond je trouvais cette introspection sur ma manière d’appréhender la formation professionnelle beaucoup plus intéressante, me questionnant davantage sur « comment en profiter pour améliorer ce que je fais », systématiser des modalités inconscientes… et surtout créant un système qualité « non figé » car adapté, en temps réel à ma pratique.

En décembre 2021, j’ai donc obtenu ma certification Qualiopi (sans aucune NC, « non conformité » pour les moldus) pour mes actions de formation. Dans quelques jours je passe mon audit de surveillance et espère que la mise en oeuvre quotidienne de mon système qualité ne se fera pas trop critiquer! Mais j’ai autre chose à faire, dans mon métier quotidien que de remplir des fiches pour remplir des fiches, j’ai davantage eu à coeur de mettre en place quelque chose de « pragmatique »

Cécile Coyez Qualiopi

Alors j’essaie, j’expérimente, j’améliore, y compris mes process…Par exemple, l’un des indicateurs principaux est d’évaluer la qualité des formations (pendant et après la formation). Initialement, j’avais pensé, pour les évaluations à mi parcours à réaliser un formulaire partagé qui serait rempli mensuellement par mes élèves. Sauf que, dans la pratique, l’évaluation on la fait en direct, à chaque journée de formation, parce que l’on se parle, qu’on est en mini groupe (1 à 3 élèves max), qu’on échange par sms/mail/whatsapp entre les sessions…. et que, surtout, systématiquement j’oubliais de leur rappeler d’envoyer le fameux formulaire (qui ne m’apprenait rien de neuf)… Alors j’ai décidé de changer cette modalité d’évaluation, pour avoir certes quelque chose de davantage formalisé qu’un oral, mais de plus « gérable » au quotidien.

Si vous avez lu jusque là, vous comprenez que le choix de devenir Organisme de Formation n’est pas anodin, autant en terme administratif que financier (l’audit qualiopi ayant un coût plus que certain). C’est triste dans un sens, car ce formalisme n’est pas à la portée de tous et je crains que de nombreux excellents formateurs prennent simplement peur face à cette jungle administrative chronophage.

Mais, ce qui me motive, va bien au delà…Et ce que j’ai appris, depuis 2 ans comme « Organisme de formation » auprès de mes élèves est beaucoup plus formateur pour ma pratique pédagogique que je n’avais pu l’imaginer. C’est pour eux que je réalise ces démarches. Pour leurs sourires à l’issue d’une journée de formation. Pour leurs progrès qui m’émerveillent à chaque fois…

Enfiler le costume du « sensei »

Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités (oups)

Depuis que j’enseigne je me suis rendue compte à quel point il était difficile de transmettre des gestes. Parce que, ce qui me semble maintenant naturel ne l’est pas du tout pour un moldu. Parce que, je ne m’étais jamais posée la question avant, ni de la position de mes mains sur tel geste ni de la force impliquée.

Au contact de mes padawans, je réflechis, j’apprends aussi… J’expérimente ce qui leur parlera d’avantage.
Ainsi, certains sont très visuels, par conséquent colorier sur le dos d’un livre les emplacement à « taper » au marteau pour l’endossure est très suffisant. Quand d’autres ont dû d’abord ressentir, sur leur propre main, le mouvement du marteau sur le dos du livre pour pouvoir l’appliquer au geste. Tel élève aura pour habitude d’appliquer à la lettre ce que je dis me faisant une confiance aveugle (argh m’obligeant à faire attention de lui préciser que c’est dans ce cas spécifique que cela s’applique) quand telle autre s’interrogera systématiquement du pourquoi avant même de commencer.

Je me suis aussi rendue compte que 2 ans de formation au CAP c’était à la fois long et court. Long car en début de formation le passage de l’examen semble extrêmement éloigné. Mais la somme de gestes et connaissances à acquérir est telle que finalement ces mois passent vite.

Alors, ensemble on décide par exemple de se fixer des « objectifs de mi-parcours ». Par exemple entre mars et mai, on va perfectionner tel geste, découvrir telle technique, explorer telle compétence. A l’issue de cette période, on fait le point, soit via une évaluation formelle (genre CAP blanc ou autre) soit via un « contrôle continu ». Cela permet de se rendre compte des progrès réalisés…. avant de se projeter dans les prochains apprentissages. De maintenir une motivation, en évitant un effet « tunnel » avec des micro-objectifs réalistes et atteignables en un temps plus restreint.

De mon coté, je garde toujours un oeil sur le programme initial, ou le référentiel du CAP (pour ceux qui souhaitent le passer) : je suis responsable de la vitesse d’apprentissage et, même si je doit être « agile », je ne dois pas perdre de vue l’objectif initial quitte à proposer des aménagements en cours de formation.

Combiner 2.0 et Gestes ?

Si vous êtes déjà tombé sur mon site ou mes posts auparavant, vous savez que j’ai un petit coté geek-curieuse-bidouilleuse…

Alors, au moment d’accueillir ma première élève je me suis dit : allez, on voit les choses en grand et on crée un intranet avec un système de e-learning intégré (« lms » pour les intimes ou learning management system).

L’idée : rajouter sur un site sécurisé des informations qui puissent soit servir de rappel gestuel/étapes à mes élèves (« mais comment fait on un noeud de tisserand » / « quelles sont les étapes principales de la reliure d’un bradel? »…) et également fournir des informations théoriques complémentaires, éléments de bibliographie etc…

Une bonne idée sur le papier… Mais…

Dans la pratique c’est relativement chronophage et pas si exceptionnel que ça…

Chronophage parce que j’ai dû passer un temps infini à faire des schémas explicatifs, à penser la structure des cours en ligne…
A maîtriser l’outil aussi (oups, bonjour les heures de modifications non enregistrées :'().
Et puis, mon cours ne sera jamais fini, je passe mon temps à le compléter, l’améliorer …
Alors parfois (souvent?), par soucis d’efficacité, j’envoie simplement des messages directs à mes élèves, avec une petite vidéo rapide explicative, un lien vers une conférence intéressante etc…l’intérêt ? L’instantanéité, la facilité (je ne suis pas obligée d’avoir accès à mon ordinateur, qui n’est jamais à l’atelier pour le faire), et puis j’ai moins de pression sur la qualité des visuels (images ou vidéos) et peux donc me permettre une qualité plus instantanée centrée sur le sujet plutôt que la forme. Le désavantage est qu’il y a moins de suivi si jamais ils veulent retrouver l’info ensuite.
Alors j’essaie de jouer sur les deux aspects …

Extrait du « backoffice » : un constructeur dans lequel je joue entre les « leçons », « chapitres » pour construire et organiser chaque cours

Extraits de l’interface « abonné », avec d’une part le déroulé d’un cours qui permet de passer d’un chapitre à l’autre et d’autre part un extrait de mes schémas d’une grande qualité

Un pas vers une formation 100% en ligne ?

J’ai déjà eu plusieurs demandes en ce sens. Systématiquement, j’avais refusé car je ne me sentais pas prête et ne voyais techniquement pas comment transmettre des gestes via un écran.
Pourtant l’idée me plaît bien et je la garde dans un coin de ma tête.
En début d’année 2023, Emmanuel m’a permis de faire un premier pas dans ce sens : Cela fait pas mal de temps que l’on échangeait via les réseaux sociaux et je savais qu’il était à la fois motivé, consciencieux mais aussi s’était formé en autodidacte car il n’y avait pas d’atelier de reliure dispensant de formation ou cours à proximité. Cela ne l’a pas empêché de s’inscrire au CAP, mais il souhaitait obtenir quelques heures de cours à distance pour perfectionner ses gestes.
Sa demande est précise, il a déjà des bonnes bases, il accepte le principe d’être un « cobaye ». Ensemble, on décide d’essayer…
Comment a-t-on procédé ? Tout d’abord, je lui ai demandé de s’auto-évaluer sur la base du référentiel du CAP afin d’identifier les points spécifiques qu’il souhaitait aborder. Puis, évidemment il a eu accès à l’intranet mais surtout on s’est organisé des visios en direct par whatsapp d’une ou deux heures en fonction du programme que l’on se fixait. Ce programme avait été défini en début de formation mais évoluait un peu au fur et à mesure des visios car soit je me rendais compte de gestes à parfaire qu’il n’avait pas envisagé, soit des questions lui venaient et on décidait de les inclure à la prochaine visio.

Chacune de ces visios avait un objectif précis (un geste, une étape, une épreuve du CAP) que nous décidions ensemble au préalable pour que tous les deux nous puissions préparer le matériel à l’avance… En effet, via une petite caméra il y a beaucoup de choses qui sont difficiles à montrer alors il faut exagérer les tailles, les proportions, les contrastes de couleur…. Progressivement on a trouvé aussi nos marques pour mieux gérer les angles et lumières autour (car, non, on ne s’improvise pas relieur 0.0 comme cela!)

M-1 : sont ils prets ?

Emmanuel & Thaïs débuteront les épreuves du CAP dans moins d’un mois:

  • 1 Juin, Analyse & Préparation d’un ouvrage en reliure (1h30, épreuve écrite)
  • 2 Juin Etude Stylistique et proposition graphique » (4h30, épreuve écrite)
  • 5 Juin Prévention Santé Environnement (1h, épreuve écrite)
  • 19-20 Juin : Exécution d’ouvrages en reliure (16h15, épreuve pratique)

Le sprint final a démarré. Objectif : vérifier une dernière fois que tous les éléments du référentiel sont acquis, perfectionner les derniers points problématiques, s’entrainer encore et encore aux épreuves écrites et pratiques.

J’avoue être morte de trouille… Parce que, c’est aussi à ce moment là que je saurai si j’ai été « capable » de correctement les former. Evidemment, vous me direz, la balle sera ces jours là dans leurs mains. Mais c’est mon rôle, en tant que formatrice, de les préparer au mieux à ces épreuves, d’anticiper les difficultés éventuelles, les aider à gérer leur temps, à grapiller des points là où c’est possible…

Verdict début juillet probablement…

Bref, ça fait presque deux ans que je suis organisme de formation…
Un tout petit organisme dans lequel je serai votre interlocuteur unique sur le programme pédagogique, la compta, les questions de financement, l’animation, ou la gestion administrative.
Un tout petit organisme qui fait de son mieux pour vous apporter des apprentissages de qualité, dans le respect des règles de l’art et vous permettre d’atteindre vos objectifs de formation, qu’il s’agisse de se reconvertir pour en faire son métier ou d’acquérir de nouvelles compétences…
En deux ans, j’ai l’impression d’avoir appris peut être plus, sur ma propre pratique, que lorsque j’exerçais seule dans l’intimité de mon atelier. Deux ans aussi de fous-rires, de bonne humeur partagée avec mes élèves. Deux ans à être impressionnée par leurs capacités à progresser, à faire et refaire inlassablement, à s’améliorer (et à me supporter)…

Cet article était un poil long (euphémisme). Pourtant, alors que je me prépare à mon audit de surveillance qualiopi j’ai apprécié faire cette petite introspection…Parce que parfois on a tendance à oublier, dans le feu de l’action, à la fois d’où on vient mais aussi pourquoi on le fait… Et moi, je sais que je suis devenue formatrice, en plus de mon métier d’artisane, parce que j’ai à coeur de transmettre ces gestes et savoirs-faire si précieux, tant pis pour ma phobie administrative, ça vaut largement le coût de s’en accommoder !

Et pour en savoir plus sur les formations dispensées à l’atelier c’est ici

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