Au théâtre, le « quatrième mur » désigne ce « mur » imaginaire séparant la scène des spectateurs et « au travers » duquel ceux-ci voient les acteurs jouer. Mais c’est aussi un livre poignant de Sorj Chalandon, paru en 2013 qui m’avait bouleversé lorsque je l’ai lu pour la première fois. Dans ce roman, le narrateur, pour respecter la promesse faite à son ami metteur en scène, tente de faire jouer, à Beyrouth en guerre (80s) Antigone de Anouilh. Rassembler ainsi des acteurs des différents groupes ethniques et religieux impliqués dans le conflit, pour un répit de deux heures dans cette guerre. Je n’avais pu m’empêcher de mettre en fond sonore le Requiem de Duruflé, cher à l’auteur et auquel il est fait de nombreuses références tout au long de l’histoire. La musique renforçait alors la puissance des mots, la prolongeait, dans sa tragédie…
J’avais en tête, un jour, de relier Antigone et le Quatrième Mur dans un même livre.
D’une idée à sa réalisation
L’occasion m’a été donnée, une fois de plus, par le Challenge AreYouBookEnough qui, ce mois-ci avait pour thème « listen »… Quel autre livre que le Quatrième Mur était à ce point habité par une musique ?
Et puis, je souhaitais tester une « reliure à double dos ». L’idée me trottait dans la tête depuis que mon fils, il y a déjà quelque temps s’était trouvé « blasé » en voyant mes livres et m’avait mis au défi de créer quelque chose un peu plus original : « un livre qui s’ouvre dans les deux sens ». J’y avais réfléchis et proposé un prototype de livres à « deux dos » mais je n’avais encore jamais trouvé l’ouvrage qui « mériterait » un tel traitement ! J’allais donc relier, dans un même livre, Antigone et le Quatrième Mur et le Pie Jesu de Duruflé !
Sorj Chalandon et Jean Anouilh n’étant pas publiés chez le même éditeur, je n’ai eu d’autre choix que de trouver une édition de poche, afin d’avoir deux ouvrages de même taille. J’ai donc choisi la version éditée aux éditions « Poche » pour le Quatrième Mur et « La Petite Vermillon » (éditions de la table ronde) pour Antigone. La difficulté avec les livres de poche, c’est que ce sont des livres simplement collés, sans couture. Une fois qu’ils sont démontés et la colle enlevée (oui, c’est la photo avec le fer à repasser!) on se retrouve donc avec une centaine de pages volantes …Pages qu’il a fallu « surjeter » à la main afin de reconstituer des cahiers!
Quant au Pie Jesu, j’avais trouvé la partition mais faute de mise en page satisfaisante face à mes contraintes (cela devait rentrer sur 4 pages, dans un format bien défini), j’ai bien été obligée de la retranscrire manuellement.
La Structure Piano
Puisque je décidais de réaliser une reliure dans le cadre du challenge AreYouBookEnough_Listen, la reliure à charnière piano me semblait parfaitement appropriée.
Le principe semble simple : des cahiers montés sur onglets, ceux-ci sont regroupés au moyen de « piques à brochettes » (ou autre tige) par un ingénieux système d’encoches alternées. Je vous avoue que je n’avais jamais essayé auparavant non plus, mais cela me semblait tout à fait intéressant pour figurer la partie d’orgue du Requiem.
J’ai même eu l’ambition au début d’illustrer au travers de cette structure la partition exacte de l’introduction du Pie Jesu, mais graphiquement le résultat était peu esthétique et techniquement beaucoup trop complexe !
Le décor des plats et des contre-plats
Pour le décor des plats, j’ai choisi quelque chose de sobre – le « contenu » des livres étant suffisamment dense. J’ai commencé par coller des fils sur le carton pour figurer la portée, la clé de sol et les 4 (!) bémols du début du Pie Jesu. Puis j’ai encollé ma toile afin que le relief apparaisse. Ensuite les premières notes de la Mezzo Soprano sont comme des points de lumière dans la nuit… Les formes déchirées apposées ensuite sur les plats me semblent figurer davantage la violence, la tragédie terrible de ces deux œuvres.
Quant aux contre-plats, ils sont chacun recouverts de la partition du Pie Jesu. Cela peut ressembler simplement à une graphie comme une autre. Mais pour moi, une partition s’entend, s’écoute. Et à voir ces notes sur les portées, j’entends la mezzo, les réponses du violoncelle, les nuances de l’orchestre….
Le résultat
Voici ce que donne ce double-livre terminé ….Peut être cela vous a-t-il donné envie de (re) lire ce magnifique livre de Sorj Chalandon ?
Juste une petite coquille, 4eme ligne ( joue ) … a part ça, que de travail ! on pourra voir et toucher, j’espere ( et pour entendre, c’est deja fait !)…
Rhoh ! Je croyais l’avoir déjà corrigée, désolée ! Merci 🙂
très beau travail, félicitation
merci ! 🙂
Bravo pour ce talentueux travail! Dommage qure tu n’aies pas pu trouver une édition plus luxueuse pour un tel travail. J ai lu le 4ème mur très beau livre.
Je suis en admiration devant tes reliures
Au plaisir de te revoir un jour.
Michèle
Merci beaucoup Michèle pour tes compliments ! Je suis d’accord avec toi pour le livre de poche mais c’est une façon comme une autre de lui donner une seconde vie ! Bises
Bravo pour ce travail et les explications très détaillées
Merci 🙂
très impressionnant ! et aussi très joli, j’aime tes marbrures.
merci beaucoup ! 🙂