Pas a Pas : La Reliure Passée

Souvent, dans l’imaginaire collectif, le travail d’un relieur se résumerait à refaire la couverture d’un ouvrage. C’est évidemment la partie la plus visible, mais elle cache de nombreuses étapes toutes aussi importantes : réparer les petites déchirures, les fonds de cahiers, réintégrer les couvertures d’origine, coudre, mais aussi, ensuite jouer des épaisseurs pour obtenir une belle couverture harmonieuses.

J’ai décidé de vous emmener avec moi, relier l’Éducation Sentimentale de Flaubert. Ce livre avait appartenu aux parents de mon client. Et comme un joli clin d’œil, en le retrouvant il s’était rendu compte qu’il s’agissait d’une édition de la même année que l’année de naissance de ses parents ! Le livre était plutôt en bon état général même si la couverture souple d’origine était devenue extrêmement fragile et la couture un peu « lâche ». Mon client souhaitait pouvoir le relire et surtout le transmettre à son petit fils

Dans les vidéos qui suivent, vous pourrez voir, une à une, la grande majorité des étapes d’une reliure passée demi cuir

Une reliure passée est également appelée "reliure à la française". Comme son nom l'indique, les ficelles de coutures sont passées dans le carton des plats. Cela en fait une reliure extrêmement solide et durable. L'articulation des plats est facilitée par un "mors" : les cahiers arrondis au niveau du dos vont créer une sorte de saillie dans laquelle les cartons vont pouvoir s'insérer

Etape 1 : La Placure

La plaçure comprend l’ensemble des étapes qui précèdent la couture d’un ouvrage.

Dans le cas de ce livre de Flaubert, l’Education Sentimentale il s’agissait donc :

• de débrocher les cahiers (c’est à dire défaire l’ancienne couture après avoir retiré la colle sur le dos)
• Réparer les fonds de cahiers et surtout les micro déchirures qui étaient présentes sur la majorité des pages (un petit coup de couteau qui dérappe lors du découronnement par mon clients il y a plusieurs années)
• Doubler les couvertures d’origine pour pouvoir les solidifier puis les réintégrer dans le futur corps d’ouvrage
• Montage des couvertures sur onglet (oups ça j’ai oublié de filmer)
• Collationnement c’est à dire remettre les pages dans l’ordre
• Mise en presse afin de réduire au maximum les surepaisseurs dues aux réparations

Etape 2 : La Couture

Une fois les cahiers sortis de presse, on collationne à nouveau puis on va pré-percer les trous de couture.

Dans ce cas précis, je vais me servir à la fois des trous pré-existants mais en rajouter quelques uns (2 pour les chainettes en tête et queue et 2 au milieu pour davantage de solidité). Cette étape se nomme le « compassage » car on se sert précisément d’un compas pour mesurer les écarts entre les trous.

Le livre posé dans Gino mon étau en fonte, je vais ensuite « grecquer » ces trous avec une petite scie. La scie que j’utilise est une bête scie de bricolage car celles spécifiques aux relieurs font, à mon sens, des trous bien trop gros. Je préfère grecquer très légèrement, quitte à perdre un peu de temps ensuite au moment de la couture mais avoir des trous les plus discrets possibles

Ensuite, des ficelles sont tendues sur un cadre en bois (le cousoir). Cette tension permettra de pouvoir coudre, un par un les cahiers en assurant une bonne tenue.

Etape 3 : Le Corps d’ouvrage

Une fois le livre cousu, l’essentiel du travail consistera à travailler le dos à la fois pour garantir sa solidité, mais également une bonne articulation de la couverture.

• L’Arrondissure : consiste à frapper avec un marteau à plat pour progressivement créer une gouttière et un dos arrondi. L’intéret d’une gouttière (la tranche opposée au dos) concave est que cela évitera à la poussière de se déposer sur la tranche. A l’inverse un dos plutôt arrondi s’intègrera plus en douceur dans l’articulation des plats
• L’Endossure s’opère toujours avec un marteau, mais cette fois dans l’étau. L’objectif alors est de coucher les cahiers les uns sur les autres pour créer un « mors » : petite articulation dans laquelle les plats (les couvertures avant et arrière, rigides) vont venir s’insérer
• Puis on pose mousseline, krafts etc pour renforcer la solidité du dos
• Les tranchefils sont également posées. Ici ce sont de simples tranchefils cuir et papier, par choix esthétique
• Enfin on prépare les plats : découpe des cartons, réalisation des encoches (pour éviter les surépaisseurs…)

Etape 4 : L’Appreture de Couvrure

Ca y est le livre, commence à ressembler à un livre ! Et pourtant, c’est loin d’être fini. Une fois les ficelles passées dans les plats, il s’agit de les fixer, bien en éventail pour limiter une fois encore les surépaisseurs. Puis tout un travail sur les plats sera effectué, à la fois pour en régulariser la surface (blanchiement) et arrondir les angles (ponçage) mais également en assurer un cambrage adéquat…

Enfin on peut s’atteler à la parure du cuir. Ici c’est du chagrin pleine fleur. C’est à dire qu’il est relativement épais (1,2mm), mon travail consiste alors à réduire son épaisseur par endroit pour arriver maximum à 0,5mm au niveau des remplis et 0,2 au niveau des coins et de la coiffe.

Etape 5 : La Couvrure

Voici donc maintenant, l’étape où le livre prend enfin son apparence finale….
Ici un demi cuir chagrin violine et un magnifique papier marbré à la main par Fanny Schaeffer

Etape 6 : La Finissure

Une fois la couverture posée, il est temps d’emboiter les gardes sur les plats, de procéder à la mise en presse de finissure mais également de titrer l’ouvrage. Ici je l’ai fait sur pièce de titre (trop stressée pour le faire en direct sur le dos) sur film oeser or à la presse à balancier

Après quelques jours sous presse, mon livre a pu être rendu à mon client, ravi… Et vous, vous doutiez-vous de la présence de toutes ces étapes lorsque vous confiez un ouvrage à un relieur ?