Le Lion – Joseph Kessel

Reliure de Création

Depuis plus de 30 ans les Biennales Mondiales de la Reliure D’Art proposent, tous les deux ans, à des relieurs du monde entier de créer une reliure unique sur un ouvrage imposé. Je les cite :

Le principe est simple : l’association fait imprimer une œuvre de son choix tirée de la littérature française et la propose, prête à relier et numérotée, aux amateurs et professionnels de la reliure du monde entier, dès le mois de janvier des années impaires.

Chaque candidat a jusqu’au 25 mai de l’année suivante (année paire) pour réaliser la reliure de son choix. Aucune contrainte n’est imposée quant aux formes, techniques et matériaux utilisés. Mais la perfection de la réalisation prime avant tout dans le choix des lauréats par un jury international.

Le concours est doté de récompenses attribuées par des partenaires publics et privés, tous associés à la manifestation.

Chaque Biennale se termine par la présentation au public en septembre de TOUTES les reliures réalisées, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse (78- France).

https://biennales-reliure.com/concours-2024/reglement-du-concours-international-de-reliure-dart/

Le Concours 2022 : Le Lion

Après une première participation en 2018 sur l’Art d’être Grand Père de Victor Hugo, je me mettais au défi de participer à l’édition 2022 sur le Lion de Kessel… Je me souvenais, petite, avoir beaucoup aimé ce livre et l’idée de devoir le relire pour le relier ensuite m’enthousiasmait… Mais voilà, je vous spoile avant la fin de cet article : je n’ai jamais osé envoyer ma reliure…Je pourrais avancer plein de raison officielles à cela, la véritable est sans doute beaucoup plus personnelle et moins avouable : dans les semaines qui ont précédé la date limite d’envoi, ma situation familiale a été bouleversée et je ne me sentais pas les épaules, à ce moment là, d’affronter, en plus, le jugement de mes pairs sur mon travail. Bref, j’ai eu peur.

En voyant l’ensemble des reliures exposées de cette édition, dans un sens, un petit soupçon de regret a pointé son nez. Non que j’ai la moindre prétention à recevoir une quelconque distinction sur cette reliure. Mais je crois que j’aurais aimé, moi aussi faire partie de cette jolie fête.

Pour vous faire, vous aussi, un peu rêver, vous pouvez retrouver ici les lauréats des cette édition … Et toutes les reliures présentées

Mon Inspiration

Lorsque, vers 11ans j’avais lu pour la première fois Le Lion de Kessel, je m étais forcément identifiée à cette gamine, heureuse et sauvage au milieu de la savane…

Il faut dire que je revenais d’un voyage au Kenya avec mes parents et que, forcément, une partie de moi enviait cette proximité avec la faune…

30 ans plus tard, mon regard d’adulte s’est davantage senti proche du narrateur, dans son regard étranger mais bienveillant et ouvert

30 ans plus tard, en le relisant, je me suis de nouveau transportée dans les couleurs de la savane, retrouvant en un clin d’oeil mes souvenirs de ma rencontre avec les Masai… Rencontre, j’avoue, un peu plus stressante que dans le livre puisque je me rappelle avoir « flippé » lors d’une négociation sur le prix, en vaches, que mes parents accepteraient pour mon mariage!

(ps oui c’est bien moi sur la photo)

Une histoire de technique, d’essais … et de details

C’était décidé, ma reliure serait brute, aride, mais riche, un peu comme lorsque tu regardes les herbes au milieu d’une réserve kenyane. Tu la penses vide de toute présence et d’un coup, ton regard s’affine et tu découvres tout un monde à tes côtés …

Tonalités

Je souhaitais donner à ma reliure une tonalité de terre asséchée. Un marron brulé par le soleil. En parlant par hasard de ce projet à mon interlocuteur à la tannerie Alran, il me dit : « Je crois que j’ai la peau qu’il vous faut, elle a un défaut qui probablement vous plaira. » Il m’a envoyé une photo.

Chèvre d’Alembert. Ce grain. Cette patine. Cette couleur. Et cette tache … Je ne savais pas comment, mais je l’exploiterais…J’ai validé immédiatement et cela a donné ensuite la tonalité à toutes mes réflexions sur l’orientation de ma reliure!

La peau choisie a une tache très remarquable qui lui donne un coté brut, aride

Pages de Gardes

Le papier de garde, a été commandé à Fanny Schaeffer, marbreuse à Munster …Mon cahier des charges : un coté animal mais féminin. Oui, c’est pas méga précis ! Heureusement, en vrai, on s’est un peu plus parlé que ça, je lui ai expliqué mon idée de quelque chose qui rappelle la légèreté insaisissable de cette enfant, tout en restant sur un fond couleur « savane » . En quelques essais, elle a réussi à me proposer exactement ce que j’avais en tête sans avoir su le décrire !

Papier Marbré à la Cuve Par Fanny Schaeffer

Les tranches

Detail Lion Tranche Peinte Ciselee

Comme dans toute reliure, le diable se cache dans le détail… Or, je ne me voyais pas proposer une reliure avec de belles tranches rognées classiques. Alors j’ai fait des tests. Je voulais lui apporter du relief. De la texture. Que l’on sente presque la poussière sous nos doigts par un soleil pesant. Qu’on essaie de deviner quel animal avait bien pu y laisser son empreinte avant nous…

Au final, mes tranches ont été peintes, et j’ai utilisé des fers, outils divers et variés pour, un peu comme sur de la technique de papier à la colle, retirer de la couleur.

Les Tranchefils

Si vous avez déjà parcouru ce site, vous savez que j’affectionne particulièrement les tranchefils, ces petits « bourrelets » que l’on retrouve en tête et queue des livres. A l’origine brodées, elles avaient pour fonction principale de protéger le livre des manipulations un peu trop brutales.

Le peuple Masai est très présent dans le livre de Kessel, mais il y est à la fois mystérieux et menaçant; secret et fier… Je voulais d’une manière ou d’une autre leur rendre hommage, mais de manière moi aussi « discrète ». Alors j’ai choisi d’utiliser un bracelet masai que j’avais ramené de là bas comme support de ma tranchefil.

Sur le coup, j’étais assez fière de mon idée, je n’avais jamais vu de tranchefil en perle, voilà qui serait original…Bon, après maints essais, de nombreuses minuscules perles perdues dans mon atelier, des dizaines de fois le fil rouillé du bracelet d’origine rentré dans mon doigts, j’ai compris : on ne fait pas de tranchefil en perle parce que juste ce n’est pas pratique. Mais je suis un poil obstinée, et si, j’ai dû ruser pour la réaliser (j’ai brodé un fil classique entre les perles du bracelet d’origine), je suis relativement satisfaite du résultat

La Couverture

Depuis le début, je vous l’ai dit, je voulais utiliser la patine/tache du cuir pour mon décor…Le renforcer dans son coté brut et rugueux… Alors, je me suis imaginé reprendre les griffures du Lion…

Pour une sombre histoire de réalisme, j’ai tenté de demander au chat qui passait son temps dans l’atelier, de me griffer mon cuir (en fait je voulais avoir une idées d’espacement mais aussi d’appui, plus précise que ce que je pouvais trouver sur internet) mais il ne m’a été d’aucune aide… Heureusement j’ai pu compter sur une communauté ultra réactive sur facebook qui m’a inondé de photos de dégâts faits par leurs félins …. Et pour le clin d’œil, je me suis amusée à rajouter quelques discrètes traces semblables à celles que vous pouvez retrouver sur votre canapé lorsqu’il fait ses griffes … mais je vous laisserai trouver où!

Enfin, le titrage

Titrage au Froid Naturel Le Lion Kessel

Une fois la reliure presque achevée, il me restait à titrer…

J’ai décidé de le faire au froid naturel, une technique qui permet d’obtenir un brun très intense…

Pour ce faire, il faut chauffer les caractères de manière classique, puis les refroidir quelques secondes sur une éponge naturelle (la laisser « chanter ») puis pousser le titre sur un cuir humidifié. Sauf que, ce n’était pas encore assez foncé… Mais le « noir de fumé » ne me satisfaisait pas non plus (cette fois c’était trop). Alors j’ai décidé de conserver la technique du froid naturel mais de ne refroidir que très peu mes caractères sur une peau très mouillée pour obtenir un aspect presque brûlé… comme la terre kényane

Le Résultat

Voila, maintenant, un an après, j’ose enfin vous montrer cette reliure, même si certains d’entre vous l’ont vu lors d’expos ou de passage à mon atelier.

Comme je vous l’ai dit, je n’ai pas osé l’envoyer pour les biennales….Ridicule pour certains. Des regrets diront d’autres. Peut être. Mais malgré tout une certaine fierté d’avoir été au bout de ce défi technique (pour mon petit niveau). Et puis, une certaine satisfaction car, il ressemble presque exactement, dans le toucher et les détails, à ce que j’avais initialement en tête…

Allez qui sait, peut être irai-je jusqu’au bout du prochain concours sur Saint Exupéry (vu comme j’arrête pas de le citer sur ce site, il y aurait moyen que ça me parle, aaaaaaaaargh)?

4 réflexions sur “Le Lion”

  1. Dommage de ne pas avoir participé, un livre certes un peu osé, mais qui s’approchait véritablement de l’histoire du livre, de l’environnement, de la vie du peuple masai .
    Participez au prochain concours, vol de nuit, vous aurez une idée s’approchant du sujet du livre.

    1. Merci pour votre soutien! Oui j’y réflechis, je ne sais pas encore mais ce qui est sûr c’est que cette fois, si je commence je tâcherai cette fois d’aller au bout de la démarche!

  2. Bravo! Magnifique! Très intéressant de lire le cheminement d’une idée et d’admirer sa réalisation.
    Et trop drôle la vidéo du chat!!!

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